Dans un arrêt publié au bulletin, rendu le 20 mars 2014, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur l’originalité d’un modèle de chaussures dans un litige opposant les sociétés Tod’s Spa et Tod’s France aux sociétés François Pinet et Orphée Club ainsi que leur fournisseur.
Les sociétés Tod’s déclaraient détenir des droits d’auteur sur un modèle de ballerines dénommé « Dee Fibbietta », et estimaient qu’un modèle similaire commercialisé par les sociétés François Pinet et Orphée Club en reproduisait les caractéristiques. Après avoir fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon et de constat d’achat, les sociétés Tod’s ont assigné en contrefaçon et en concurrence déloyale les sociétés Pinet et Orphée Club ainsi que leur fournisseur, la société Santiago Pons Quintana. Confirmant la position du Tribunal en première instance, la Cour d’appel a débouté les sociétés Tod’s de leurs demandes.
La Cour de cassation confirme à son tour l’arrêt de la Cour d’appel. Nous nous intéresserons au second moyen du pourvoi. Le premier moyen porte sur une question de procédure (relative aux pouvoirs conférés à l’huissier de justice chargé de procéder à un constat), tandis que le troisième et dernier moyen se situe sur le terrain de la concurrence déloyale.
Les sociétés Tod’s font grief à l’arrêt de les débouter de leur demande au titre de la contrefaçon, au motif que le modèle de chaussures « Dee Fibbietta » ne peut bénéficier de la protection du droit d’auteur. C’est l’occasion pour la Cour de cassation de préciser le critère d’originalité d’une œuvre susceptible d’être protégée par le droit d’auteur.
La Cour d’appel a, selon les sociétés Tod’s, commis une erreur de droit dans la mesure où elle aurait confondu choix technique d’une part, et choix esthétique et arbitraire d’autre part, distinction centrale dans l’appréciation de l’originalité du modèle. En l’espèce, la question portait sur l’empiècement formant l’emboîtage du modèle de chaussures. Selon les sociétés Tod’s, « cette caractéristique traduisait uniquement un parti pris esthétique et un choix arbitraire (…) et non un choix technique », tandis que la Cour d’appel adopte une considération contraire. L’enjeu est important, car il permet de déterminer si la composante concernée pourra faire l’objet de droits d’auteur ou non.
Le second grief adressé par les sociétés Tod’s rappelle que si la Cour d’appel est souveraine afin d’apprécier si une œuvre de l’esprit est originale ou non, elle doit rechercher l’empreinte de la personnalité de l’auteur dans l’oeuvre : « il appartient aux juges du fond de se livrer à une appréciation personnelle et concrète de l’originalité d’une œuvre de l’esprit, en recherchant par eux-mêmes si les caractéristiques de celle-ci résultent d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur ». La Cour de Cassation y répond en affirmant que la cour d’appel « a souverainement estimé que l’ajout de semelles à picots qui s’inscrivait dans une tendance de la mode était insuffisant pour témoigner de l’empreinte de la personnalité de son auteur ».
Le troisième grief se base sur le principe énonçant que si des composantes d’une œuvre peuvent être appréciées comme non protégeables, la combinaison de ces éléments peut, quant à elle, tout de même être déclarée « originale » et protégée par le droit d’auteur : « une combinaison d’éléments banals ou fonctionnels peut, en elle-même, présenter un caractère original si une telle combinaison résulte d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur ». En l’espèce, selon la société Tod’s, la Cour d’appel, après avoir énoncé que les éléments composant le modèle « Dee Fibbietta » n’étaient pas protégeables, aurait dû examiner si le modèle dans son ensemble était original ou non. La Cour de Cassation écarte la discussion et tout autre grief en adoptant les conclusions décrites ci-dessous.
La Cour de Cassation rejette bien le pourvoi adressé par les sociétés Tod’s au titre de la contrefaçon. D’une part, elle relève une question de temporalité, empêchant d’établir le délit de contrefaçon : le modèle commercialisé par François Pinet et Orphée Club aurait commencé à l’être avant la date à laquelle la société Tod’s Spa faisait remonter les droits revendiqués sur son modèle « Dee Fibbietta ». D’autre part, la deuxième chambre civile se range derrière les conclusions de la Cour d’appel en énonçant que « l’ajout de semelles à picots qui s’inscrivait dans une tendance de la mode était insuffisant pour témoigner de l’empreinte de la personnalité de son auteur » et que le modèle « Dee Fibbietta » n’était donc pas protégeable par le droit d’auteur. L’arrêt d’appel et l’arrêt de rejet semblent ainsi suggérer que, dans le cas d’une caractéristique qui s’inscrit dans les tendances de la mode, la démonstration de l’empreinte de la personnalité de l’auteur et donc de l’originalité sera plus difficile à réaliser.