Dans le cadre de son activité de promotion de la Spécialité « Droit de l’Innovation » au sein de l’Ecole de Droit de Sciences Po Paris, Sciences Pi, l’Association des juristes en droit de l’innovation de Sciences Po Paris, a organisé une présentation de cette Spécialité à l’attention des étudiants, le 9 février dernier.
Dans ce contexte, nous avons eu le plaisir d’accueillir les intervenants :
- Séverine Dusollier : Co-Directrice et Professeure du Master Droit de l’Innovation ;
- Bruno Anatrella : Associé du cabinet BAGS Avocats, spécialiste en droit d’auteur et droits voisins ; et
- Denis Monégier du Sorbier : Associé du cabinet HOYNG ROKH MONEGIER, spécialiste de propriété industrielle ;
Qui ont présenté la Spécialité avant de se prêter au jeu des questions réponses.
La particularité de ce petit-déjeuner de présentation fut la complémentarité des angles de vue des intervenants. Entre l’angle de vue académique et global de Séverine Dusollier sur la propriété intellectuelle, et celui des praticiens de la propriété intellectuelle, dont celui de spécialiste de la propriété littéraire et artistique de Bruno Anatrella, et celui de spécialiste de la propriété industrielle de Denis Monégier du Sorbier; les étudiants ont pu obtenir une vision d’ensemble de cette discipline.
Dans la mesure où notre dessein est d’encourager un maximum d’étudiants à s’intéresser à cette Spécialité, nous avons choisi de publier un Compte Rendu de cette Présentation.
Un aperçu du Master Droit de l’Innovation de Sciences Po
Master crée en 2007, il s’intitulait «master droit de la propriété intellectuelle » avant de prendre le nom « droit de l’innovation ». Le master n’est pas concentré sur les technologies et l’internet. Il concerne plus généralement tout ce qui a trait à la propriété intellectuelle : que ce soit le droit des brevets, le droit d’auteur et les droits voisins, le droit des marques, mais aussi le droit des dessins et modèles, les appellations d’origine, etc.
Les choix des cours sont peu à la carte : il y a un seul menu proposé, et il vise à donner à chaque étudiant les outils nécessaires pour comprendre tous les aspects d’une discipline qui nécessite une vue d’ensemble.
Le premier semestre a pour objectif d’aborder les aspects fondamentaux de la propriété intellectuelle pour compléter et donner les clés de la matière. Les trois orientations principales se présentent de la manière qui suit :
- Un cours d’introduction de Michel Vivant : un cours de contexte qui traite des grandes questions de la matière.
- Un cours de droit des obligations ou un cours d’économie de la propriété intellectuelle, dispensé par des économistes spécialistes
- Un bloc de quatre cours : sur le droit d’auteur, les brevets, les marques et un autre cours consacré aux « autres droits » (dessins et modèles, indications géographiques).
Ce semestre a pour vocation d’avoir une approche théorique.
Au deuxième semestre, la perspective s’élargit à l’international.
- Trois cours proposent une perspective plus européenne, de droit comparé : Un cours de droit international de la propriété intellectuelle, deux cours de droit comparé dont un sur le brevet (dispensé par le spécialiste californien Dan Burk) et un en droit d’auteur.
- D’autres cours centrés sur l’économie et la stratégie de la propriété intellectuelle : un sur la propriété intellectuelle et le développement, un autre sur les nouveaux marchés. Ceux-ci permettent de sortir un peu du droit pur.
- Et enfin une série de cours pratiques. L’objectif étant d’apprendre la pratique du contentieux et des contrats. C’est dans ce cadre qu’enseignent les avocats Bruno Anatrella et Denis Monégier du Sorbier. Les contrats sont importants aussi bien en propriété littéraire qu’industrielle, puisqu’ils sont au coeur de toute négociation. Or le contentieux implique un apprentissage à la fois de la procédure et des preuves. Le but est de partager la pratique d’avocat telle que vécue sur le terrain, apprendre aà appliquer la théorie, à plaider, et savoir quels sont les éléments clés dans un litige de propriété intellectuelle. En somme il s’agit d’apprendre « les trucs et les astuces » de la pratique. Des simulations de plaidoiries sont d’ailleurs organisées dans différents cours, dans des conditions réelles de procès (avec des exercices de gestion du temps de parole notamment). Interviennent aussi dans le cadre de ces cours pratiques : Vincent Ruzek, du département juridique de l’Oréal qui qui partage son expertise en droit des marques, ainsi que Pierre Breesé, Conseil en Propriété Intellectuelle, qui a une longue expérience dans le dépôt de brevets.
L’articulation entre deux semestres fonctionne bien. Le deuxième semestre c’est l’application à haute dose du premier semestre. Il y a un vrai éclairage de la pratique avec l’enseignement par des praticiens.
Il n’y a pas au sein du master d’étanchéité entre les domaines de la propriété intellectuelle, l’idée c’est donner aux étudiants une véritable vision d’ensemble.
Les débouchés pour les étudiants du Master ne sont pas uniquement la profession d’avocat, il y a aussi des voies dans les administrations européennes et à l’international en constant développement, dans les organismes gravitant autour de l’Union européenne (comme les lobbys), ainsi qu’au sein de diverses entreprises.
Questions & Réponses
- Les NTIC sont-elles vraiment exclues du programme du Master?
Bruno Anatrella : En réalité les nouvelles technologies se retrouvent partout dans la matière (PV d’huissier, contrefaçon sur internet, preuves par mails ). Dans le droit de la communication, il y a de plus en plus de contentieux à travers les réseaux sociaux sur la protection des données.
Séverine Dusollier : Aucun cours du master ne peut faire l’impasse dessus, car elles sont tellement intégrées qu’on en parle tout le temps. Il n’y a certes pas de cours spécifiquement sur le droit du commerce électronique dans le master, car ce serait trop conséquent en termes de masse de travail de le rajouter. Mais il y a une possibilité de compléter la formation avec des cours supplémentaires données à distance comme le cours « Internet regulation » suivi en ligne en partenariat avec une Université Brésilienne.
- Qu’est-ce qu’un Conseil en Propriété Industrielle ? Quelles sont les différences avec un avocat?
Denis Monégier du Sorbier : Le CPI intervient au niveau de l’acquisition des droits : dépôt des brevets, marques… Il n’a pas la pratique du contentieux, mais connait les ficelles de la procédure. En parallèle, un avocat intervient en contentieux, il est juriste et non pas technicien. En matière de brevets, les deux fonctions sont très complémentaires. Si on est trop technicien, on risque de plaider de manière trop technique pour le juge national. Or il faut savoir s’adresser au juge dans son langage, avec son vocabulaire. On note que ce n’est pas le cas dans l’Office Européen du Brevet où les discours sont très techniques. Avec la Juridiction Unifiée du brevet (ou United Patent Court), les juges seront de plus en plus techniciens, ce qui risque de rebondir sur les juridictions nationales.
Bruno Anatrella : Apprendre à plaider sert aussi au juriste, donc on vous fait prendre la parole dans les cours, avec des vrais exercices de prise de parole avec travail sur la voix et structure du discours, l’objectif étant d’apprendre à convaincre.
- En pratique : combien d’affaires vont en contentieux, et combien se règlent sans y recourir?
Denis Monégier du Sorbier : On peut se mettre d’accord aussi bien avant jugement, qu’après le jugement, devant la Cour d’Appel. Quand on va plaider c’est quand les parties ne trouvent pas de point d’entente. Mais le métier consiste aussi à essayer autant que possible de rapprocher les parties. En marge du contentieux, la médiation se développe de plus en plus.
Séverine Dusollier : La question dépend souvent des clients.
Bruno Anatrella : En propriété littéraire et artistique, j’ai déjà entendu un juge dire que « la médiation c’est la meilleure justice ». Tout dépend de l’économie d’un dossier. On va en contentieux lorsqu’il y a quelque chose à creuser, lorsque c’est autre chose qu’une simple transaction.
Denis Monégier du Sorbier : En matière de brevets, on ne peut pas aller en arbitrage, seuls les juges peuvent se prononcer sur la validité du brevet. Les enjeux sont différents.
- Avez-vous plutôt des dossiers étrangers ou nationaux?
Bruno Anatrella : J’ai relativement peu de dossiers étrangers. Mais c’est propre à mon domaine. J’ai des dossiers internationaux ponctuellement, par exemple récemment un cas suédois sur l’absence d’originalité et le copyright.
Denis Monégier du Sorbier : Je travaille dans un cabinet européen, qui est unique dans le genre, donc j’ai beaucoup de dossiers belges, espagnols, etc. Il peut nous arriver d’avoir des clients en Asie. Il est très dur de plaider lorsque ce n’est pas notre langue, de réussir à faire passer un message subtile.
Séverine Dusollier : Cependant beaucoup d’élèves du Master décident par la suite de faire un LLM pour ouvrir leur parcours à l’international.
- Est-il recommandé de s’inscrire dans un autre Master plus spécialisé à la suite de celui-ci?
Séverine Dusollier : Ce n’est pas indispensable. Cela présente une utilité dans le cas où l’étudiant souhaite se spécialiser dans une discipline précise de la PI : par exemple le droit de l’internet, la production audiovisuelle, le droit de l’art, etc. C’est à l’étudiant de faire en sorte ensuite que ses cours ne recoupent pas ce qu’il a déjà étudié. Souvent les élèves ont le sentiment que c’est un désavantage de ne pas être passé par une fac de droit. Pourtant les diplômés du Master Droit de l’Innovation sont très bien accueillis, aussi bien dans les cabinets d’avocats que dans le monde de l’entreprise. Ce que je déconseille c’est de se réinscrire dans un master trop similaire et généraliste. La CPI de Strasbourg peut avoir un avantage pour les profils très spécialisés en brevets par exemple. Si l’étudiant a un projet précis, il y a une possibilité d’orientation, néanmoins, il est important d’en discuter avec les professeurs du Master qui connaissent bien les écoles, et peuvent dire si le choix vaut le coup. On a eu par exemple une élève qui s’est spécialisée dans le droit spatial.
- Les avocats de la PI interviennent-ils dans des considérations éthiques?
Bruno Anatrella : J’ai travaillé récemment sur le cas de chartes déontologiques des journalistes.
Denis Monégier du Sorbier : Il est possible de considérer le brevet comme une protection de l’investissement. Le cours introductif de M.Michel Vivant revient sur les questions théoriques du brevet.
Séverine Dusollier : Il est possible de faire un peer ou un travail à la clinique de droit de Sciences Po sur des questions de la propriété intellectuelle, en parallèle du master. L’emploi du temps est alors aménagé en fonction.
- Quelle taille de cabinets recommanderiez-vous pour la pratique de la propriété intellectuelle?
Denis Monégier du Sorbier : Je suis passé par toutes les tailles de cabinets. Je travaillais d’abord dans un cabinet de niche de petit format. Puis j’ai travaillé dans le cabinet international Linklaters. Le danger des grandes structures, c’est de faire du département propriété intellectuelle un département support, où on ne fait que des due diligences. J’ai pu expérimenter des mentalités différentes, en travaillant dans un cabinet anglais et un autre américain. L’approche de la clientèle n’est par exemple pas la même aux Etats-Unis, où le client est rattaché à l’avocat. Mais malgré l’expérience grand cabinet, désormais je préfère travaille dans un cabinet intermédiaire qui ne fait que de la propriété intellectuelle, et qu’en Europe.
Bruno Anatrella : Faire un stage dans un tel type de structure va dépendre de vos préférences et orientations, mais il est toujours possible de changer de dynamique, tester autre chose si on ne s’épanouit plus, et c’est même stimulant au cours de la carrière de faire des ruptures de la sorte.